17
GEA-XLE
J’ai réveillé tout le monde et exigé qu’on tire les guenilles à quatre épingles. Murgen a sorti l’étendard. Une jolie brise l’a soulevé.
Les grands chevaux noirs ont piaffé, trépigné, pressés de reprendre la route. Ils ont communiqué leur impatience à leurs moins fringants cousins.
La matériel a été rangé et sanglé. Il n’y avait aucune raison d’attendre – exceptée cette pénible impression que nos allions au-devant d’autre chose qu’une simple parade dans une ville.
« T’es d’humeur théâtrale, Toubib ? a demandé Gobelin. Un peu de mise en scène, ça te dirait ? »
Ça me disait et il le savait. Je voulais cracher mon défi à la face de mes pressentiments. « Qu’est-ce que tu as en tête ? »
Au lieu de répondre directement, il a dit à Qu’un-Œil : « Quand on arrivera au niveau de ce dos-d’âne où ils nous découvriront sans doute, tu lâcheras un ou deux éclairs et une sonnerie de trompettes divines. Je ferai une petite arrivée dans les flammes. Ça devrait suffire à leur faire comprendre que la Compagnie noire est de retour en ville. »
J’ai jeté un coup d’œil à Madame. Elle paraissait mi-amusée, mi-condescendante.
Un moment, Qu’un-Œil a paru tenté de faire des histoires. Mais il s’est ravisé et a consenti d’un bref hochement de tête. « Si on doit y aller, c’est maintenant, Toubib.
— En ordre de marche ! » ai-je tonné. J’ignorais ce qu’ils nous préparaient, mais ils savaient mettre de l’animation quand ça les prenait.
Ils se sont placés en avant-garde tous les deux. Puis venait Murgen, une vingtaine de mètres en retrait, avec le drapeau. Les autres ont repris leur place habituelle, Madame et moi côte à côte, menant nos bêtes de charge à la longe. Je me souviens avoir pensé, en posant le regard sur le dos luisant de Cinoque et Chabraque, que nous disposions maintenant d’une vraie infanterie.
La descente a débuté par un sentier étroit et raide, tout en lacets sinueux, qui s’est heureusement élargi deux kilomètres plus loin pour devenir presque une route. Nous sommes passés devant plusieurs bicoques, apparemment des cabanes de bergers, pas si pauvres ou rudimentaires qu’on aurait pu se l’imaginer.
Nous avons gravi la pente du dos-d’âne mentionné par Gobelin et le spectacle a commencé. Fidèlement au programme.
Qu’un-Œil a frappé dans ses mains à deux ou trois reprises et le ciel lui a répondu par un tonnerre fracassant. Puis il a posé ses paumes sur ses joues et a émis une sonnerie de trompettes tout aussi tonitruante. Pendant ce temps Gobelin, par un de ses tours, a fait apparaître sur la butte une nappe de fumée d’où ont surgi des flammes d’aspect féroce mais inoffensives. Nous les avons traversées. J’ai contenu mon envie d’ordonner le galop et de demander aux sorciers de faire fumer les naseaux des chevaux et jaillir des étincelles sous leurs sabots. Je voulais que l’arrivée de la Compagnie se remarque, mais pas qu’elle donne l’impression d’une déclaration de guerre.
« Ça devrait impressionner le monde », ai-je dit en me retournant pour regarder les hommes qui traversaient les flammes, les chevaux ordinaires qui bronchaient, piaffaient.
« Si ça ne les terrorise pas carrément. Tu devrais apprendre la mesure, Toubib.
— Je me sens audacieux et téméraire, ce matin. » Ce qui n’était peut-être pas la chose à dire au regard de ma piteuse dérobade de la nuit. Mais Madame s’est abstenue de commentaire.
« On parle de nous, là-bas. » Elle a montré deux tours de guet trapues situées de part et d’autre de la route à trois cents mètres. Nous passerions nécessairement entre les deux, dans un étroit goulet où régnait une ombre inquiétante. Sur le faîtage de ces tours, des héliographes échangeaient des informations et les communiquaient sans doute à la ville également.
« J’espère que le message est sympathique, du style : Hourra, les gars sont de retour. »
Nous étions assez près pour distinguer des silhouettes là-haut. Les sentinelles n’avaient pas l’air de se préparer au combat. On en voyait deux assises sur les merlons, jambes pendantes dans le vide. Il y avait en outre un officier – autant que je pouvais en juger – debout dans un créneau, un pied posé sur un merlon et appuyé sur son genou, qui nous observait nonchalamment.
« C’est à peu près l’attitude que je commanderais si je devais monter un traquenard, ai-je grommelé.
— Tout le monde n’a pas l’esprit aussi alambiqué que toi, Toubib.
— Ah ouais ? Je suis simple comme bonjour comparé à certains que je pourrais nommer. »
Elle a dardé sur moi un regard méprisant de Dame courroucée de jadis.
Qu’un-Œil n’étant pas là pour parler, j’ai conclu à sa place : « Ce gars-là a sûrement plus de jugeote que toi, Toubib. La seule fatigue qu’il se donne, c’est d’aller chercher son petit-déjeuner. »
Nous étions près de la tour, maintenant. Gobelin, Qu’un-Œil et Murgen l’avaient déjà dépassée. J’ai soulevé mon chapeau en un salut amical.
L’officier s’est penché, a saisi un objet à terre et me l’a lancé. Il est tombé en tournoyant. Je l’ai attrapé au vol. Quel athlète !
J’ai regardé ce que j’avais en main.
C’était un bâton noir de trois centimètres de diamètre et quarante de long, sculpté dans du bois lourd et orné d’un tas de fioritures. « Ben ça, que je sois pendu !
— Tu le mériterais. Qu’est-ce que c’est ?
— Un bâton d’officier. Je n’en avais jamais vu. Mais on en fait mention dans les annales jusqu’à la chute de Sham, une sorte de ville mystérieuse perdue sur le plateau que nous venons de traverser. » J’ai levé le bâton pour adresser un second salut à l’homme là-haut.
« La Compagnie y est allée ?
— Elle s’y est rendue après son départ de Gea-Xle. Le capitaine n’a pas trouvé sa montagne d’argent. Il a trouvé Sham. Les annales sont assez confuses. Les habitants de Sham, à ce qu’il est dit, appartenaient à une ethnie blanche aujourd’hui disparue. Mais trois jours après l’arrivée de la Compagnie à Sham, les ancêtres de Cinoque et Chabraque ont surgi eux aussi. Ils s’étaient monté la tête dans une sorte de frénésie religieuse et avaient attaqué la ville. La première horde à déferler a fait un massacre. La plupart des officiers sont restés sur le carreau avant que la Compagnie se ressaisisse et les tue. Les survivants sont partis vers le nord, parce qu’une autre peuplade se rassemblait au sud pour leur barrer le chemin. Ces bâtons ne sont plus mentionnés après ces événements. »
À quoi sa seule réponse a été : « Ils savaient que tu arrivais, Toubib.
— Ouais. » Ça, c’était un mystère. Je n’aime pas les mystères. Mais ce n’en était qu’un parmi d’autres en eau profonde, et il ne fallait pas que je m’attende à les voir remonter ventre en l’air pour se prêter à un examen.
Deux types attendaient au croisement de notre route et de celle qui reliait les tours de guet, à cinq cents mètres de la muraille de la ville. La campagne environnante, pourtant si proche d’une agglomération, était quasi désertique. J’ai supposé que la terre était stérile dans le coin. Plus au nord et au sud, on apercevait une verdure luxuriante. Un des deux gars a donné un vieil étendard de la Compagnie à Gobelin. Il n’y avait pas à se méprendre, quoique je n’aie reconnu aucune de ses distinctions honorifiques. Il était élimé au dernier degré – rien de surprenant pour une pareille antiquité.
Qu’est-ce qui se passait donc là-bas ?
Qu’un-Œil essayait de communiquer avec les types, mais c’était comme engager la conversation avec une statue. Ils ont tourné bride et se sont éloignés pour nous ouvrir la marche. J’ai donné à Qu’un-Œil un hochement de tête approbateur quand il s’est retourné pour me demander s’il fallait leur emboîter le pas.
Une haie d’honneur de douze hommes a présenté les armes quand nous avons franchi la porte. Mais personne n’est venu nous accueillir. Nous avons enfilé les rues en silence. Les citadins s’interrompaient pour observer ces étrangers au visage pâle. Madame attirait à elle seule la moitié des regards.
Elle les méritait. Elle avait de l’allure. Une sacrée belle allure. Sévère et dure, mais son physique contrebalançait.
Nos guides nous ont conduits à des baraquements pourvus d’écuries. Les baraquements avaient été entretenus, mais pas habités depuis longtemps. On nous a invités à nous y installer. Soit.
Nos guides se sont éclipsés pendant qu’on inspectait les lieux.
« Eh bien, a dit Gobelin, il ne manque plus que les danseuses. »
Pour les danseuses, macache. D’ailleurs on n’a eu pas grand-chose de quoi que ce soit, à moins qu’on puisse compter la feinte indifférence. J’ai ordonné qu’on reste groupés le restant de la journée, mais rien ne s’est produit. On nous avait offert un toit et oubliés. Le lendemain, j’ai envoyé en mission nos deux plus récentes recrues, ainsi que Qu’un-Œil et Sifflote, avec ordre de trouver une barge pour descendre la rivière.
« Tu lâches la bride au renard et tu le pousses dans le poulailler, a protesté Gobelin. T’aurais dû m’autoriser à l’accompagner pour que je le maintienne dans le droit chemin. »
Otto a éclaté de rire.
J’ai souri mais sans trop en rajouter. « T’as pas la peau assez foncée pour passer inaperçu, mon petit pote.
— Balivernes, ouais. Tu t’es donné la peine de jeter un coup d’œil alentour depuis qu’on est arrivés ? Il y a des Blancs ici, ô intrépide capitaine. »
Hagop est intervenu : « Il a raison, Toubib. Pas des masses, mais j’en ai vu.
— D’où diable sortent-ils ? » ai-je murmuré en me dirigeant vers la porte. Rutilant et Chandelles se sont écartés pour me céder le passage. Ils étaient postés là pour recevoir tout visiteur indésirable. Je suis sorti et me suis adossé au mur chaulé, mâchonnant un brin d’oseille cueilli au bord de la chaussée.
Ouais. Les gars avaient raison. Deux Blancs, un vieil homme et une jeune femme d’une vingtaine d’années, déambulaient dans la rue. Ils affectaient l’indifférence à mon égard quand tous les autres me regardaient avec des yeux ronds.
« Gobelin, amène-toi par ici. »
Il est sorti à son tour en traînant les pieds. « Quoi ?
— Regarde discrètement par là. Tu vois le vieux et la fille ?
— Les Blancs ?
— Oui.
— Je les vois. Et alors ?
— Tu ne les aurais pas déjà vus quelque part ?
— À mon âge, tout le monde ressemble à quelqu’un que j’ai déjà vu quelque part. Et c’est la première fois que je viens dans cette région du monde ; si je les ai vus, c’est sûrement ailleurs. La fille me donne cette impression, en tout cas.
— Hum. Pour moi, c’est le contraire. C’est quelque chose dans son attitude à lui qui m’a mis la puce à l’oreille. »
Gobelin a cueilli une tige d’oseille à son tour. Je l’ai regardé se pencher. Quand je me suis retourné vers l’étrange couple, il avait disparu. En revanche trois malabars, des Noirs, s’avançaient droit vers nous d’un pas décidé de mauvais augure. « Mazette, je ne savais pas qu’il en existait des modèles de cette taille. »
Gobelin marmonnait, le regard dans le vide. Il affichait une expression déconcertée. Il inclinait la tête comme s’il tendait l’oreille.
Les trois grands types sont arrivés devant nous, se sont arrêtés. L’un d’eux s’est mis à parler. Je ne captais pas un mot. « Moi pas comprendre, Toto. Essaie une autre langue. »
C’est ce qu’il a fait. Je n’y ai rien compris non plus. Il a haussé les épaules et consulté ses copains du regard. L’un d’eux a tenté une langue tout en clics.
« Encore perdu, les gars. »
Le plus grand s’est lancé dans une pantomime féroce de frustration. Les deux autres sont partis à baragouiner. Sur ce, Gobelin m’a faussé compagnie sans crier gare. J’ai eu juste le temps d’entrevoir son dos comme il se faufilait dans un passage entre deux bâtiments.
À ce moment-là, mes nouveaux amis ont conclu que j’étais sourd ou stupide. Ils m’ont braillé dessus. Ce qui a fait sortir Rutilant et Chandelles, suivis des autres. Les trois malabars ont encore proféré quelques jurons, puis ont tourné les talons.
« C’était quoi, ce raffut ? a demandé Hagop.
— Je donne ma langue au chat. »
Gobelin est revenu se joindre au groupe, sa face de grenouille fendue par un large sourire satisfait.
« Là, tu m’étonnes, ai-je dit. Je me voyais déjà perdre une semaine à te chercher, à faire des pieds et des mains pour t’extirper d’un tripot local. »
Il a pris une mine offensée. Puis a couiné : « J’ai cru voir ta copine se barrer en douce. Je suis juste allé vérifier.
— À en juger par ton air faraud, tu l’as vue.
— Dans le mille. Et figure-toi qu’elle est partie échanger quelques mots avec ton vieux bonhomme et sa nénette.
— Ah ouais ? Rentrons donc, qu’on en cause. »
J’ai jeté un coup d’œil à l’intérieur, histoire de m’assurer que Gobelin n’avait pas d’hallucinations. Effectivement, Madame n’était plus là.
Que se tramait-il ?
Qu’un-Œil et son équipe sont revenus en roulant des épaules en fin d’après-midi. Qu’un-Œil bichait comme un chat avec des plumes dans les moustaches. Cinoque et Chabraque portaient un gros panier fermé. Sifflote toussotait, mâchouillait et souriait comme en attente d’une grosse farce à laquelle, peut-être, il n’était pas étranger.
Gobelin s’est réveillé de sa sieste en sursaut en poussant un couinement de protestation, et ce avant même que Qu’un-Œil ait dit un mot. « Tu vas rebrousser chemin avec ton je-ne-sais-quoi, haleine de vautour. Sans quoi je transforme cette toile d’araignée qui te sert de cerveau en boulettes pour scarabées. »
Qu’un-Œil n’a pas daigné lui adresser un regard. « Regarde-moi ça, Toubib. Tu ne vas pas en croire tes yeux. »
Les deux porteurs ont posé le panier et soulevé son couvercle.
« Sans doute que non », ai-je grommelé. Je me suis penché au-dessus du panier, m’attendant à découvrir une douzaine de cobras ou autre surprise du même acabit. Ce que j’ai vu, c’était le sosie haut comme trois pommes de Gobelin… Ou plutôt comme une demi-pomme, Gobelin n’en mesurant guère plus de deux lui-même. « Qu’est-ce que c’est que ça ? D’où est-ce que tu nous le sors ? »
Qu’un-Œil a lorgné Gobelin. « C’est une question que je me pose depuis des années. » Il avait le sourire le plus narquois que je lui avais jamais vu.
Gobelin a feulé comme une panthère en chaleur, puis il s’est mis à exécuter des passes cabalistiques. Ses doigts traçaient des sillons lumineux dans l’air.
Même moi, je ne lui ai accordé aucune attention. « Qu’est-ce que c’est ?
— C’est un génie, Toubib. Un génie tout ce qu’il y a de classique. Tu ne sais pas reconnaître un génie quand t’en vois un ?
— Non. D’où est-ce qu’il sort ? » Je n’étais pas sûr de vouloir entendre la réponse, connaissant Qu’un-Œil.
« En descendant vers le fleuve, on tombe sur une petite enfilade de boutiques situées autour d’un bazar à ciel ouvert où ils proposent tout un tas d’articles pour la magie, la divination, la nécromancie, le oui-ja et ainsi de suite. Et là, au beau milieu de la vitrine d’une échoppe miteuse, j’ai découvert ce petit bonhomme qui suppliait qu’on le tire de là. Je n’ai pas pu résister. Dis bonjour au capitaine, Crapaud. »
Le génie a pépié : « Bonjour au capitaine, Crapaud. » Puis il a gloussé, exactement comme Gobelin mais d’une voix plus haut perchée.
« Allez, sors, mon p’tit pote », a dit Qu’un-Œil. Le génie a bondi hors du panier, comme propulsé par un ressort. Qu’un-Œil a hoqueté un petit rire, l’a saisi par un pied et l’a laissé pendiller un instant tête en bas. On aurait dit un bambin avec une poupée. Il s’est tourné vers un Gobelin au bord de l’apoplexie, un Gobelin si furieux qu’il ne parvenait pas à conclure son petit numéro de magie.
Qu’un-Œil a lâché le génie qui, après une pirouette arrière, s’est reçu sur ses pieds et a couru se planter devant Gobelin comme un bâtard qui aurait découvert tout à coup l’identité de son père. Puis il a rebroussé chemin au trot jusqu’à Qu’un-Œil et lui a déclaré : « Je crois que je vais me plaire avec vous, les gars. »
J’ai empoigné Qu’un-Œil par le col et l’ai soulevé de terre. « Et le foutu bateau ? » Je l’ai secoué un peu. « Je t’avais envoyé en mission pour que tu dégottes un rafiot, pas pour que tu t’achètes des babioles. »
J’étais la proie d’une de mes rares bouffées de colère : longues d’à peu près trois secondes, elles sont généralement assez virulentes pour me couvrir de ridicule.
Mon père en avait souvent. Quand j’étais gamin, je me cachais sous la table en attendant la minute ou deux nécessaires pour qu’elles passent.
J’ai reposé Qu’un-Œil. L’air ahuri, il m’a répondu : « Mais j’en ai trouvé un, d’accord ? Il appareillera après-demain à l’aube. Je n’ai pas pu affréter une péniche pour nous seuls : ça serait revenu trop cher, même vu notre nombre, les chevaux et les carrioles. Il fallait que le chaland emmène une autre cargaison. Pour finir, j’ai conclu un marché. »
Crapaud le génie se tenait derrière Sifflote, accroché à sa jambe, risquant un œil derrière son mollet comme un gosse apeuré – quoique, tout compte fait, il avait plutôt l’air plutôt goguenard. « D’accord, je m’excuse pour mon coup de sang. Explique, quel est le marché ?
— Il sera seulement valable jusqu’à la Troisième Cataracte, comme ils disent. Elle se trouve à mille trois cents kilomètres au sud et les bateaux ne la franchissent pas. Il faut la contourner par douze kilomètres de portage puis relouer une autre péniche.
— Jusqu’à la Deuxième Cataracte, j’imagine.
— Exact. En tout cas, on pourra effectuer le premier tronçon aux frais de la princesse, avec nourriture et fourrage, si on accepte de servir de gardes pour la cargaison.
— Ah. Gardes. Pourquoi ont-ils besoin de gardes ? Et pourquoi d’un tel nombre ?
— Pirates.
— Je vois. Autrement dit, on aurait dû se battre même en payant notre passage.
— Sans doute.
— Est-ce que tu l’as bien regardé, ce bateau ? Est-ce qu’il est défendable ?
— Ouais. On peut le transformer en forteresse flottante en deux jours. C’est la plus grosse péniche que j’aie jamais vue. »
Un soupçon d’inquiétude a titillé le tréfonds de mon esprit. « On l’examinera de nouveau demain matin. Tout le monde. Ce marché m’a l’air trop beau pour être vrai, donc il y a sûrement une embrouille.
— C’est aussi ce que je me suis dit. Et c’est en partie pourquoi j’ai acheté Crapaud. Je peux l’envoyer fureter ici ou là pour récolter des renseignements. » Il a souri en tournant le regard vers Gobelin qui s’était isolé dans un coin pour conspirer tout seul et ruminer. « En plus, avec Crapaud, on n’aura plus à se ruiner en guides et interprètes. Il fera tout cela pour nous. »
Ça m’a propulsé les sourcils en l’air. « Sans blague ?
— Parfaitement. Tu vois ? Ça m’arrive d’être utile une fois de temps en temps.
— C’est bien le moins. Tu dis que ton génie est prêt à nous rendre des services ?
— Tout ce qu’il y a de prêt.
— Viens donc dehors avec moi dans un coin tranquille. J’ai une dizaine de boulots à lui confier. »